1978 – Une saison d’innovations
Pour la saison 1978 de Formule 1, Brabham change de sponsor titre. Martini & Rossi prend le deuxième rôle, étant remplacé par Parmalat : le meilleur groupe italien de produits laitiers, à l’époque. À la tête du conseil d’administration de l’écurie nous retrouvons Gordon Murray, en tant que directeur technique, et Bernie Ecclestone, agissant en tant que propriétaire de l’équipe en dehors de ses fonctions à la FOCA (Formula One Constructors Association).
À côté de ce formidable duo à la table décisive, un fantastique duo de pilotes est là pour faire briller la voiture sur la piste. La légende du sport Niki Lauda, fraîchement sacré 2 fois Champion du Monde avec Ferrari, est épaulé par le jeune pilote irlandais John Watson.
La voiture : BT45C, est la troisième évolution de la BT45, la première voiture de F1 construite autour du moteur flat-12 Alfa Romeo 155-12. Déjà en service depuis 1973 en endurance, ce moteur est réputé peu fiable, assoiffé de carburant et encombrant : près de 230 kg. Fervent partisan du mantra « Light is right », cette dernière caractéristique ne plaît pas vraiment à Murray.
Ce groupe motopropulseur présente néanmoins deux avantages. Premièrement, il s’agit d’un accord de moteur gratuit qui donne à Murray un maximum de liberté financière dans son travail. Deuxièmement, il a une certaine puissance : 520 chevaux ! C’est cinquante de plus que l’équivalent Ford-Cosworth équipant la majorité des voitures du plateau.
Avec cet argent frais arrivant de Parmalat, la priorité est donnée à l’innovation aérodynamique. Murray est déterminé à révolutionner la Formule 1 avec la prochaine BT46A, qui remplacera la BT45C seulement après deux Grand-Prix en 1978.
La révolution avec la BT46A ne durera que jusqu’au Grand Prix de Belgique à Zolder. Là, l’équipe Lotus a présenté sa Lotus 79 à effet de sol complet. Deuxième itération du concept de voiture à aileron, cette voiture semble pratiquement imbattable !
Immédiatement et en secret, Murray tente d’adapter l’effet de sol à sa voiture, mais l’imposant moteur douze cylindres à plat gêne les tunnels Venturi. Il n’y a aucun moyen qu’un flux d’air naturel aspire cette voiture au sol…
Après quelques recherches – et probablement inspiré par les plans du Chaparral 2J – il redessine toute la partie arrière pour y intégrer un immense ventilateur. Comme l’aérodynamique mobile n’était autorisée que si son objectif premier n’était pas l’aérodynamique, l’astuce consiste à prouver que l’essentiel du travail du ventilateur est destiné au refroidissement, ce qu’il réussit !
Après les plaintes de Williams, McLaren, Lotus, Surtees et Tyrrell lors de la présentation de la BT46B au GP de Suède, un test est effectué prouvant que plus de 55 % du flux d’air généré est dirigé vers les radiateurs montés en haut, jugeant le système légal et prêt à courir.
Le ventilateur lui-même, fabriqué à l’origine à partir de matériaux de réservoir, est une pièce très fragile. Lié à l’arrière de la boîte de vitesses, il nécessite trente chevaux rien que pour le faire tourner, mais le compromis en vitesse de passage en virage est ahurissant !
Ce montage est si compétitif, que les pilotes Niki Lauda et John Watson sont priés de garder certaines réserves. Premièrement, il ne faut pas faire monter le moteur trop fort dans les stands, car la voiture est visiblement aspirée par le sol à chaque coup d’accélérateur. Ensuite, ils se qualifient 2ème et 3ème avec le plein d’essence tout en « faisant de leur mieux pour éviter la pole position ». Finalement, Niki dépasse Mario Andretti avec une « facilité embarrassante » et mène la course à la victoire en Suède. L’Italo-américain s’accroche mais même la Lotus 79 n’arrive pas à suivre le rythme et son moteur explose !
Une telle performance attire évidemment tous les regards vers le nouveau nom « Parmalat F1 Racing Team ». Cela révèle Gordon Murray comme le meilleur designer qui soit, mais crée également de l’envie et de la jalousie à l’égard d’Ecclestone. Néanmoins ravi de voir son équipe performer à ce niveau, il sent – en sa qualité de président de la FOCA – qu’il est préférable de ne pas créer de vagues avec ce genre de supercherie dans le design ; surtout en cette période de conflit entre la FOCA et la FISA.
Le concept de « fan-car » étant interdit à partir de la saison prochaine, Ecclestone décide d’abandonner la voiture après la course. Sûrement au désespoir de toute l’équipe Brabham… Leur retour à la compétition lors du prochain événement se fera avec BT46A. Le projet de fan-car BT47 est abandonné.
1979 – Du mouvement chez Alfa Romeo
La nouvelle BT48 est engagée pour 1979, propulsée par un tout nouveau V12 Alfa Romeo et basée sur d’anciennes recherches pour la BT44B. Même si le nouveau moteur laisse de la place à l’effet de sol, la voiture n’est tout simplement pas assez performante. Lauda en a assez de l’attitude d’Ecclestone qui ruine l’équipe et la F1, il décide de quitter le sport à la fin de la saison.
L’équipe change aussi son deuxième pilote, une nouvelle recrue brésilienne qui apprend vite. Son nom : Nelson Piquet.
Après une fin catastrophique à tous les efforts de Murray, c’est au tour d’Alfa Romeo de remuer le couteau dans la plaie. Fièrement sponsorisée par Marlboro, la marque milanaise entre en Formule 1 avec une voiture de sa conception.
Alors, le partenariat Brabham-Alfa Romeo n’est plus économiquement viable. Ecclestone décide d’aller droit au but et adopte le classique Ford-Cosworth DFV pour la deuxième partie de 1979. En 6 semaines, deux BT48 sont convertis pour faire fonctionner le nouveau moteur V8, moins problématique, tandis qu’un troisième châssis, nommé BT49, est construit en prévision du championnat de l’année prochaine.
1980 – La renaissance
Pour 1980, Brabham ressemble à une nouvelle équipe, et se trouve un nouveau nom : « Motor Racing Developments » ; une nouvelle livrée marine et blanche et une nouveauté dans la liste des matériaux : la fibre de carbone ! Avec la fin du gros V12 Alfa, Gordon Murray retrouve la liberté qu’il avait perdue et laisse parler son talent pour l’aérodynamisme. Si la voiture n’est pas la plus rapide en ligne droite, elle est certainement la plus efficace en termes d’effet de sol : elle court même plusieurs courses sans aucun aileron avant !
Pour sa deuxième année seulement en F1, Nelson Piquet montre son potentiel et défie la Williams d’Alan Jones pour le championnat. Constant et avec 3 victoires, il termine le championnat 2ème du classement, derrière l’Australien. Dans l’ensemble, c’est une très bonne saison de la part de toute l’équipe Brabham et de grands espoirs pour l’avenir !
1981 – Repousser les limites du règlement
1981, l’effet de sol devient incontrôlable. Les voitures deviennent trop rapides pour la sécurité. Comment réagir face à l’inattendu lorsque l’on entre dans un virage à 80 km/h plus vite qu’il y a 4 ans ? Des accidents surviennent et sont de plus en plus violents. En faute : les jupes. Leur rôle est de rendre étanche le soubassement des voitures pour créer une zone de dépression en dessous, les aspirant ainsi vers le sol ; résultant en une adhérence incroyable. Tout le monde dans le paddock critique ce choix technique et les pilotes veulent que les autorités agissent vite !
La réponse des instances dirigeantes réside dans le règlement de 1981 : chaque voiture présente sur la grille doit désormais avoir une garde au sol de minimum soixante millimètres. Pour contourner cette nouvelle règle, l’astuce trouvée par les ingénieurs les plus malins est que la garde au sol ne peut être mesurée qu’à l’arrêt. Donc, si vous souhaitez abaisser votre voiture, vous devez le faire avec rapidité, voir en pleine course…
Seules deux équipes/ingénieurs ont tenté leur chance en innovant pour contourner la règle :
- Le premier est Colin Chapman, chez Lotus, qui opte pour une configuration « double châssis ». Le premier châssis maintient la voiture tandis que l’autre supporte un fuselage à aile inversée. Au fur et à mesure que la voiture prend de la vitesse, les forces aérodynamiques induites font tomber le deuxième châssis et scellent ainsi le soubassement, recréant le vide perdu sans les jupes.
- L’autre est évidemment notre génie chez Brabham : Gordon Murray. Son ingéniosité réside dans la conception des suspensions. Au lieu de compter sur des ressorts et amortisseurs traditionnels, Gordon choisit un système hydropneumatique. C’est beaucoup plus simple : à mesure que la voiture prend de la vitesse, l’aérodynamisme plaque naturellement la voiture au sol. En utilisant une suspension hydropneumatique, Murray compte sur l’élasticité de l’air dans les amortisseurs pour laisser tomber la voiture sur elle-même. Inconvénient : plus vous allez vite, moins votre suspension est efficace. En d’autres termes, à vitesse maximale, vous n’avez pratiquement AUCUNE suspension.
Alors que Brabham semble avoir trouvé la solution la plus dangereuse, c’est la Lotus 88 qui ne passe pas l’homologation. Même si Elio de Angelis et Nigel Mansell louent la douceur de leur voiture, rien ne peut être fait pour homologuer le design de Chapman.
Bonne nouvelle pour Brabham qui se retrouve avec la BT49, la voiture la mieux conçue de la grille ! Mais tout reste à faire pour les pilotes…
Nelson Piquet assure la supériorité de sa voiture conçue sur des circuits rapides comme Hockenheim et l’Argentine où il remporte son premier Grand Chelem (pole position + tour le plus rapide + victoire + avance à chaque tour).
À lutter en piste contre l’excellente Williams de Carlos Reutemann et le champion du monde en titre Alan Jones. Combattre la puissante puissance de la Renault turbo d’Alain Prost. Jouer contre la régularité de Jacques Lafite sur sa Ligier-Matra et aussi dompter le fameux casse-cou nommé Gilles Villeneuve chez Ferrari. Piquet ne se retrouve qu’à un point de Reutemann, leader du championnat, avant la dernière course de la saison.
The Caesars Palace Grand Prix de 1981
Organisée sur le parking du Caesars Palace, cette course semble tout simplement ridicule. Pas de dénivelé, 3 fois la même série de virages et des conditions météo en phase avec l’environnement : la chaleur du désert ! Le circuit tourne même dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, ce qui signifie qu’il met le cou du conducteur bien plus à rude épreuve que d’habitude.
Nelson Piquet, visuellement malade depuis le début du week-end, ne semble pas en forme. Qualifié 4ème sur la grille, il demande un massage de la nuque de 90 minutes avec le kiné du top boxeur présent pour l’épreuve, ce qui semble avoir fait plus de mal que de bien…
En revanche, Carlos Reutemann décroche la pole avec sa Williams. L’Argentin va dicter le rythme dimanche !
Bonne nouvelle au départ. Reutemann prend un mauvais envol et finit le tour en 5e position. Conscient de l’importance de cette course, le leader du championnat garde son calme et recentre son attention sur ce qu’il voit arriver dans ses rétroviseurs. Juste derrière lui et relégué à la 6e place : Nelson Piquet bouillant dans son casque.
Depuis l’extérieur, la conduite de Reutemann se fait de plus en plus chaotique. C’est sa boite de vitesse qui commence à lâcher. Toujours à ses trousses, Piquet, groggy, fait de son mieux pour suivre le rythme.
Aux alentours du 10e tour, Nelson n’est plus qu’à quelques centimètres de la Williams de Reutemann. C’est à ce moment à que ce dernier, incapable de sélectionner le quatrième rapport, fait une erreur et perd le train arrière avant la zone de freinage.
En pilote averti, Piquet ne se laisse pas surprendre et profite de l’occasion pour compléter son dépassement.
Tous les regards sont désormais tournés vers Piquet.
Reutemann n’étant clairement plus dans la lutte, le Brésilien doit terminer 6ème ou plus pour remporter le titre. Dernier détail à considérer : Jacques Laffite est juste devant. À cinq points de Piquet au classement, il est techniquement toujours en lice pour la première place du championnat !
Boosté par cette possible victoire au championnat, Piquet fend le peloton et se retrouve en 4ème position à mi-course. Utilisant le maximum de son corps et de son esprit blessés, Piquet pousse Laffite à commettre une erreur. Le Français est contraint de faire un arrêt au stand, trop optimiste sur la cuisson de ses pneus.
Désormais en 3ème position, roulant dans le cockpit, pas très rapide, prenant des lignes hasardeuses… c’est clair : le combat de Nelson n’est plus contre ses rivaux, c’est une course jusqu’à l’épuisement.
Alors que ses adversaires le dépassent et deviennent incontrôlables immédiatement après, luttant contre la chaleur, la déshydratation, les douleurs au cou et au dos dans une fusée sur roues pleine d’essence, la vision de Nelson de la course doit ressembler à une scène de Mad Max.
Au bord de l’évanouissement, Piquet résiste tout ce qu’il peut et franchit la ligne d’arrivée cinquième. Alors que les nombreux fans sud-américains se déchaînent sur le circuit, Piquet, à peine conscient, sort la main du cockpit pour saluer l’équipe Brabham. Incapable de trouver l’énergie nécessaire pour se lever de son siège, le public attend 15 minutes entières avant de pouvoir voir le nouveau champion.
Laaadiiies et Messieurs, le Champion du Monde de Formule 1 de 1981 : Nelson Piquet du Brésil !