Easter Jeep Safari
Voyages

Easter Jeep Safari

Retour au magazine

À peine sorti de la couette, le lever de rideau de la chambre d’hôtel s’accompagne d’une certaine stupeur : une tempête de neige ! La dernière chose que je m’attendais à voir dans l’Utah. Même si je suis arrivé la veille à Salt Lake City, en pensant me reposer, visiblement la météo est autant en jet-lag que moi. Le temps d’apprécier un breakfast qui, j’espère, me tiendra chaud, et je fonce dans le hall de l’hôtel pour retrouver Bill, chargé des relations internationales pour BF Goodrich. C’est d’abord en taxi que nous nous rendons chez Impulse, un préparateur de 4×4 local et réputé, pour récupérer un magnifique Jeep Gladiator préparé spécialement pour le fabricant de pneumatiques. C’est à son volant que nous effectuons une première mission : se rendre dans un Walmart afin de faire le plein de vivres pour nos journées dans le désert. Faire les courses n’est pas forcément une partie de plaisir, mais la découverte d’un supermarché construit à l’échelle de son pays fait son effet. La benne chargée de victuailles, nous prenons la direction de Moab. Au programme : 4 h de route à 70 mph, vitesse imposée par les imposant pneus tout-terrain KM3, un col à plus de 2000 m d’altitude balayé par le vent et la neige, une vingtaine de biches bodybuildées sur la route, du moins ce qu’il en reste, et enfin : les canyons !

L’arrivée à Moab, ancienne ville minière, est digne d’un western : une rue principale, des commerces alignés de part et d’autre rappelant les « old small towns » du début du siècle ; et surtout, des 4×4 absolument partout ! De toutes les formes, de toutes les sonorités. On comprend vite, qu’ici, on est entre passionnés, et on est surtout là pour kiffer ! À la sortie de son ère minière, Moab s’est totalement tournée vers le tourisme nature : grimpeurs, randonneurs, VTT, UTV et 4×4 cohabitent dans le respect et la bonne humeur, profitant ensemble des 800 km de piste qu’offre la région. 

Après un lunch dans un véritable Tacos mexicain (pas question de galette frite cordon bleu, un vrai mexicain !), nous pouvons souffler à l’hôtel. Et quel hôtel ! Le Hoodoo Moab by Hilton, un nom qui a bercé nos adolescences. La chambre est immense, à moins que ce soit moi qui sois minuscule… Deux lits King sizes, parce que pourquoi pas, c’est l’Amérique, et surtout une baie vitrée qui donne directement sur la piscine. Pas de doute, je suis bien aux États-Unis. Un instant, je me surprends à m’en vouloir de ne pas avoir apporté mon maillot de bain, avant de me rappeler que le thermomètre flirte difficilement avec les 5 degrés. Un briefing pour nous expliquer le programme des trois jours à venir, un dîner et dodo.

JOUR 2

Chicken Corner, Dead Horse Point, Thelma & Louise Point

Que l’aventure commence ! On ne va pas se mentir, les 7 h de décalages horaires m’ont sorti de mon sommeil bien avant mon réveil. Rendez-vous au Cliffhanger Garage pour récupérer nos Jeep Wrangler dernière génération. Après avoir signé une énième décharge, nous activons l’application BFG On Trail et c’est parti pour le premier trail de l’Easter Jeep Safari : au programme, 6 heures de piste aller-retour en direction de Chicken Corner. « Chicken corner », je trouvais ça marrant comme nom de destination, jusqu’à ce que je comprenne pourquoi…

À bord de la Wranglers, j’ai le plaisir de faire la route avec Justin, un ambassadeur chinois de BFG, complètement fan de off-road et des compétitions qui en découlent. Rapidement, nous quittons la route principale de Moab pour remonter le Colorado. Le départ a été donné il n’y a pas cinq minutes et nous voilà déjà dans la gorge d’un canyon, avec comme voisin de droite le fameux fleuve. Un Camaïeu d’orange et de gris qui contraste avec le ciel bleu. Sur cette route, nous croisons les premiers cortèges de dizaines, voire vingtaines de Jeep qui roulent dans le sens inverse. Tout le monde affiche un méga sourire, le ton est donné, on est surtout là pour profiter.

Que dire à propos des Wranglers ? Peut-être que ses caractéristiques techniques, une boite auto, un V6 compressé, une direction légère, en font une voiture moderne, d’une facilité déconcertante… Beaucoup trop facile à mon goût, moi qui ai l’habitude de me « battre » avec mon Defender 110 300TDI de 1997.

Les paysages défilent, tous plus grandioses les uns que les autres. L’immensité et la préservation de ces espaces sont indescriptibles. Un vrai film. D’ailleurs, en parlant de préservation, les américains sont d’un bon sens remarquable. Les seules consignes étant de rouler dans les traces, ne pas passer à fond dans les flaques, et ne pas jeter ses déchets. Et vous savez quoi ? Pas un déchet sur les six heures de piste du jour, seulement des grands sourires et des gens contents d’être là, profitant de ces espaces. La région a, en effet, mis l’accent sur la découverte de sa nature, et je suis surpris par les infrastructures misent en place : il y a mêlé des toilettes sèches, et propres, en plein désert ! Ce serait super d’avoir la même dynamique en France…

Chicken Corner ! Nous y voilà. La piste s’avère être un cul de sac. La dizaine de véhicules que nous sommes doit alors faire demi-tour entre une falaise d’un côté, et 150 m de vide de l’autre. Ce n’est pas le moment d’avoir les mains moites.

Une fois les véhicules garés, tant bien que mal, il est temps d’emprunter le sentier à pied. Le sentier, ou plutôt le single. Un single à fleur de précipice, qui, en plein virage à l’aveugle, s’efface. Me voilà alors sur la pointe des pieds, les mains cramponnées à la paroi pour passer ce fameux Chicken Corner ! En gros, pour résumer, si tu es une poule mouillée, tu remballes ta fierté et tu fais demi-tour direction la voiture. Courage, ce passage rituel en vaut cent fois la peine. La récompense de l’autre côté de la paroi est époustouflante : le Colorado sur la droite qui contourne une falaise dans un immense virage, et sur la gauche une plaine avec des monuments rocheux en fond. Ce panorama est tout droit sorti d’un western. Et n’étant pas branché canasson, pourtant, pour la première fois de ma vie je me serais bien imaginé faire un 400 m départ-arrêté avec un mustang en direction de l’horizon… Le temps de baver encore un peu sur ce paysage, faire quelques photos et escalader un rocher pour avoir une vue encore plus spectaculaire et essayer d’impressionner quelques américaines (on ne se refait pas) et il est déjà temps de faire demi-tour direction l’hôtel et mes doubles lits doubles.

Pour notre deuxième jour d’aventure, la météo est radieuse, mais le froid d’autant plus mordant. La suite du programme : nous prévoyons de nous rendre à Dead Horse Point en passant par Thelma & Louise Point. Il est certain qu’à la lecture de ces noms vous avez déjà plein d’images en tête. Le trail est une fois de plus au-delà de mes espérances. Inutile de vous cacher que de me retrouver sur Thelma & Louise Point, point de vue du film éponyme, m’a pris au bide. D’autant plus que nous avons pu nous garer, sans restriction, aussi proche du précipice que nous le souhaitions. Les américains sont-ils fous ou font-ils confiance au bon sens des usagers de ce trail ? Il va sans dire qu’en Europe, il y aurait certainement eu un parking payant à 500 m du point de vue, voire même une navette payante depuis le parking. Là, il n’y a personne, juste la Jeep, le précipice, la vue et ta responsabilité. Quelle sensation de liberté, j’adore.

Après quelques heures de poussière et de cailloux, arrivent enfin quelques passages techniques que les Wranglers et leurs KM3 et KO2 franchissent avec une facilité déconcertante. Tout le monde se concentre et les échanges talkie se font rares. Avant la dernière grosse marche à escalader en Jeep, Charlene Bower nous partage dernier rappel au talkie : « it’s all about momentum, not speed ». Nous arrivons au pied d’une falaise. La route qui serpente mètre après mètre cette immense muraille impose tout de suite le respect.  Ce n’est pas le moment de mettre une roue à l’extérieur dans un virage à l’épingle. Justement, j’avais eu le flair de passer le volant à Justin juste avant notre ascension. Et en bon étudiant de l’école Laskoshow, je me suis aperçu qu’on pouvait retirer une partie du toit du Wranglers. Justin aillant la consigne de ne pas s’arrêter pendant que je m’efforce d’essayer de glisser ma partie de toit sur la banquette arrière. Chose faite, ceinture enlevée, debout dans l’habitacle, appareil photo à la main, je profite à 110% du moment !

L’arrivée à Dead Horse Point est surprenante, nous sortons de la piste et rejoignons une jolie route à double sens. Nous passons un mini péage qui marque notre entrée dans le parc et nous voilà sur une immense ligne droite en direction du point de vue. On est haut, la température oscille entre -1 et 0, et nous sommes à moitié en cabriolet… Autant il est possible de virer le toit en roulant à basse vitesse sur les pistes, autant il est inenvisageable d’essayer de le remettre sur le bitume à allure plus élevée. On serre les dents, mais on ne regrette rien.

Le point de vue est complètement aménagé, avec tous les services nécessaires. En se penchant un peu, il est possible de voir toute la piste que nous avons emprunté pour venir jusqu’ici, quel spectacle ! On fait semblant de basculer par-dessus la barrière, on prend quelques souvenirs en photo et il est temps de rentrer à l’hôtel, sous une fine neige qui commence à tomber et rend l’expérience encore plus magique. Après cette journée hors du commun je pensais avoir tout vu, j’étais loin du compte…

Retour chez Cliffhanger Garage où nous troquons nos Wranglers contre des UTV (les SSV de chez nous ndlr). Après avoir rempli une décharge, encore, enfilé un casque, j’ai le plaisir de me retrouver en compagnie de Gabby Downing : une pilote pro en course de off road et de drift, rien que ça ! C’est la première fois que je me retrouve dans un Can-Am biplace, voire même dans un UTV tout court. Le différentiel arrière est constamment bloqué, la boîte automatique et le son horrible. Voulant des sensations, je suis servi, même si ce n’est pas celles que j’espérais. D’ailleurs, les UTV sont les derniers arrivés sur les pistes de l’Utah, et parait-il qu’ils n’ont pas bonne réputation, car souvent conduit par des néophytes pas très respectueux des us et coutume du off-road. À titre de comparaison, imaginez les locations de jet ski à Palavas l’été, vous avez le tableau.

Nous redoublons alors de sourire et de politesse sur la route qui nous mène à Sand Flats. Si nous considérons Moab comme étant le Disney Land du 4×4, Sand Flats serait Space Mountain : un immense désert relativement plat, où se dresse paresseusement d’immenses rochers absolument ronds en tout point. On y roule au pas, au milieu de centaine d’autres usagers à vélo, motos ou 4×4. Le tout dans une ambiance d’entraide et de partage. C’est génial. Des plans inclinés dans tous les sens où l’on vient tester les limites d’adhérence des pneus et la souplesse des suspensions. Ici tout passe en douceur, et pour l’itinéraire c’est facile, il n’y a qu’à suivre les traces de pneus. À ce moment-là, j’étais émerveillé et très concentré sur ma conduite, et je n’avais pas du tout compris où ce trail avait prévu de nous mener…

Hell’s Gate! Vous connaissez ?! Mais si ! Vous avez déjà sûrement déjà vu ces 4×4 qui escalade la fin d’un canyon et finissent souvent sur 3 roues, parfois 2 et de temps en temps sur le toit trente mètres plus bas ! À notre arrivée à Hell’s Gate j’explose de joie, surement parce que j’étais le seul du groupe à ne pas être au courant que nous arriverions là. Une ambiance d’arène romaine : les gens sont assis, pique-nique de part et d’autre du canyon en observant le prétendant qui oserait affronter ce mur. Les 4×4 sont énormes, les voies élargies au possible, les pneus démesurés. Ils s’élancent. Les premiers passent en douceur, certains s’arrêtent sur 3 roues, prêt à basculer, tout le monde retient son souffle. Mais entre les mastodontes, des 4×4 d’origine, voir même des Jeep Willys sans arceau, grimpent ce défi fou sans difficulté. Je comprends alors que l’expérience et la technique de conduite sont les maîtres mots ici.

Je me positionne en bas du canyon avec mon appareil photo en espérant retransmettre la dangerosité de ce mur et le courage des conducteurs qui l’affrontent. Un père et ses deux fils s’élancent dans un Wranglers à peine modifié, un arceau, des pneus plus large que l’origine et en avant. Arrivé au 3/4 de la montée, il s’arrête. Les spectateurs plus haut haussent la voix pour savoir si tout est ok. L’homme ne répond pas, confiant et réenclenche une vitesse pour repartir. La Jeep recule d’un mètre rapidement, se dresse sur ses deux roues arrière. À ce moment-là, j’ai l’œil dans le viseur de mon appareil photo. Je suis zoomé au maximum et je n’ai plus vraiment conscience des distances. En voyant la Jeep basculer en arrière, je cours et escalade la paroi sans me retourner.
Au même moment, la Jeep continue de se redresser et lorsque son pare-choc arrière heurte enfin la pente, elle vient totalement se coucher sur son flanc gauche, glisse un peu et se stoppe. Au pire endroit. Tout le monde est debout. Certains arrivent à s’approcher suffisamment du Wranglers pour s’assurer que les passagers sont ok. L’équipage est très calme et personne ne semble blessé. Le réflexe étant souvent de mettre un bras dehors lorsqu’on vient se coucher sur le flanc… 

Soudain je remarque un homme tout en haut du canyon. À vrai dire, il était plutôt difficile à ne pas voir, avec son kilt, sa casquette et sa moustache. D’un calme hallucinant, il se mit à gérer le « recovery » de la famille de A à Z. En me rapprochant de l’action je remarque que sa Jeep était la seule garée en sens inverse des autres au sommet du canyon, là où se trouve son treuil. Je comprends alors que ce curieux personnage doit passer une bonne partie de ses journées ici, à secourir les personnes en mauvaise passe. En vingt minutes et avec les plus grandes précautions, la Jeep est remise sur roues et tractée jusqu’en haut ! Les dégâts sont minimes, un rétro plié, un trou dans la bâche et quelques cicatrices de plus sur la carrosserie. Après avoir remis l’huile moteur du haut vers le bas, toute la petite famille a pu repartir par les pistes ! Si c’est pas beau l’aventure !

C’est avec ces souvenirs extraordinaires ancrés dans mon « core memory » que débute doucement mon voyage retour pour la France ; avec l’envie brûlante de tout raconter aux copains le plus fidèlement possible. Mais comme souvent lorsque l’on vit des expériences à ce point privilégiées, les adjectifs manquent…

Continuer la lecture